Dans un rapport publié par le Bundestag en février dernier, la commission en charge des affaires sociales souligne que près de 12% des postes ont été supprimés depuis 2016 dans la Finanzkontroll Schwarzarbeit (FKS ) l’organisme en charge de lutter contre le travail dissimulé à l’échelle des Länders. Sans pour autant préciser si ces suppressions, essentiellement des départs à la retraite non renouvelés, concernent spécifiquement le contrôle du détachement. Du côté de la FKS, on souligne qu’en 2020, près de 250 agents ont été recrutés, essentiellement des jeunes recrues et des contractuels.
« J’ai beaucoup travaillé avec les allemands et j’ai découvert qu’ils ne prenaient même pas la peine de contrôler les détachements inférieurs à une semaine » précise Guillaume Balas (Génération.s, ex PS) « Les travailleurs viennent et repartent avec un maximum de turn-over»
Et les difficultés se font également sentir en Belgique, notamment dans le secteur de la construction, gangrené par les fraudes depuis de nombreuses années. La lutte contre le dumping social est même un débat soutenu en ce moment en Belgique. À l’initiative du magazine trimestriel d’investigation belge Médor, « l’Appel des 100 » publié le 25 février regroupe « cinq partis politiques francophones, trois grands syndicats et un total de 100 personnalités et organisations.» Ils exigent la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire sur les carences récurrentes de la lutte contre la fraude sociale organisée
La FGBT, l’un des syndicats majoritaires en Belgique francophone, lance à partir du 22 mars une campagne contre le dumping social. « Nous sommes actuellement en train d’affiner notre campagne “dumping social” que nous diffuserons sur les réseaux sociaux» nous précise-t-on.
La crise sanitaire appelle des réponses fermes selon eux, notamment dans le secteur de la construction. Car selon le Service d’Informations et de recherches sociales belge, 50% des travailleurs détachés dans la construction sont concernés par une infraction pour faux détachement en 2018.
Une gangrène difficile à juguler du fait des suppressions d’effectifs dans les organismes de contrôle en Belgique.En 2017, le service d’inspection de l’Office national de sécurité sociale (ONSS) et l’Inspection sociale ont fusionné pour ne plus former qu’un seul corps d’inspection. Les doublons ont été supprimés entre les deux institutions au dépend des contrôles selon Charles-Eric Clesse, professeur de droit pénal social à l’Université libre de Belgique. Selon lui, cette fusion est un “fiasco total”: ‑27% de procès verbaux par rapport aux résultats des deux institutions cumulées en 2016, plus de 800 contrôles passés à la trappe entre 2016 et 2018.
Selon Hugues Ghenne, collaborateur juridique à la FGBT Fédérale souligne que 114 postes ETP d’inspecteurs ont été supprimés depuis 2017 et la fusion des deux organismes. Contacté par nos soins, l’ONSS “parie sur une reprise en main du dialogue européen” sur ces questions sans pour autant préciser encore de plan de bataille.
Dans ces conditions comment la directive de 2018 peut-elle être honnêtement respectée ? « Il est trop tôt pour dresser un bilan de la directive de 2018 mais je peux vous parier que les inspections du travail ne sont prêtes pour faire respecter la directive » prévient Jan Cremers (PvdA) sociologue et chercheur en mobilité trans-frontalière à l’université de Tilburg.
Déjà à l’époque de directive d’interprétation de 2014 censée améliorer la mise en œuvre de la directive de 1996, les craintes étaient similaires : « j’avais eu une discussion avec Michel Sapin et on se rendait bien compte à l’époque que l’ambition de la directive d’interprétation de 2014 n’était pas soutenable pour les inspections du travail » précise Mme Pervenche Berès (PS), rapporteuse de la révision de 2014 au Parlement Européen. Ce qui n’a au passage pas empêché Michel Sapin d’entreprendre une vaste réforme des inspections du travail la même année alors qu’il était ministre du Travail.
Cynisme ou manque de volonté de politique ? « Nous ne sommes pas amis politiquement mais pour avoir rencontré des députés LREM engagés sur ces questions, il y avait une réelle volonté de durcir les règles » nous confie Guillaume Balas. « Mais on peut pas d’un côté couper les dépenses et de l’autre sanctionner mieux. Ce ”en-même-temps’’ perpétuel ne fonctionne pas »