TEXTE ET PHOTOS PAR Isaline Boiteux • 9 min de lecture
En 2013, Marseille devenait Capitale européenne de la culture. Ce label décerné par l’Union européenne a permis à la cité phocéenne de réaliser d’importants aménagements urbains devenu aujourd’hui emblématique. Car cette désignation n’est pas forcément qu’une affaire de culture.
Sous le soleil de plomb du Vieux-Port de Marseille, des joggeurs ont endossé leurs baskets pour fouler le pavé entre les étals des vendeurs de poissons. D’autres préfèrent déguster un sandwich en admirant les bateaux larguer les amarres sur la Méditerranée. Quelques années plus tôt, la scène aurait semblé improbable.
Avant de devenir l’une des plus grandes places piétonnes d’Europe, le Vieux-Port a longtemps été encombré par les voitures. Dans sa boutique de souvenirs cachée derrière le Vieux-Port, Didier, cheveux poivre et sel et bouc assorti, est formel. « Avant 2013, la ville n’avait rien à voir avec maintenant. Avant, la voiture était reine sur le Vieux-Port ! », tonitrue le sexagénaire entre les échoppes débordantes de souvenirs en tout genre qui fleurent bon le savon et l’huile d’olive. « Maintenant les gens sont libres de déambuler comme bon leur semble ». Il a fallu que Marseille revête ses habits de capitale européenne de la culture en 2013 pour faire tomber les barrières qui empêchaient l’accès direct à la mer, aménager une promenade et installer sa mythique ombrière.
Mais qu’a donc à voir l’aménagement du Vieux-Port avec la culture ? A priori pas grand- chose. « C’est un projet qui était déjà sur la table en amont de l’année de capitale européenne de la culture. Mais le label a été l’occasion pour la ville de Marseille d’accélérer les travaux. C’est également le cas pour le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), déjà en discussion en 2008 », pointe Maria-Elena Buslacchi, post-doctorante à l’université d’Aix-Marseille. Car si à l’origine le label, lancé en 1985 par les ministres de la Culture français et grecs Jack Lang et Mélina Mercouri, visait officiellement à promouvoir la richesse et la diversité des cultures en Europe, son dessein a rapidement muté.
« Ça a changé l’image de la ville »
« Au départ, les villes sélectionnées étaient plutôt des grandes villes de culture comme Florence ou Amsterdam », explique Nicolas Maisetti, chercheur associé au Laboratoire Techniques, Territoires et Société (LATTS) à Paris. Dans les années 90, le concept évolue, notamment avec la candidature de Glasgow en 1991. En plein déclin industriel et portuaire, l’Écossaise va se servir du précieux label pour relancer son économie et son attractivité après une forte désindustrialisation. « On commence alors à utiliser la culture pour transformer la ville. À partir de là, toute une série de capitales vont suivre le même exemple comme Liverpool en 2008 et Marseille en 2013, détaille le chercheur. La culture devient un outil parmi d’autres de développement économique et urbain des villes. »
Pour le chercheur, les lacunes culturelles et urbanistiques de Marseille ont joué dans l’obtention du label. Le titre est attribué chaque année par le Conseil de l’Union européenne avec l’appui d’un groupe d’experts culturels chargés d’évaluer les propositions des villes candidates. « L’ambition de redynamiser la ville était explicite dans la candidature, qui n’a d’ailleurs pas été suggérée par des acteurs du monde culturel mais par Jacques Pfister, le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie Marseille Provence ».
Dans un cabanon du Vieux-Port, les membres de l’Association des Canotiers Marseillais sont attablés autour d’un buffet de fruits de mer fraîchement pêchés. Hakim, cheveux brun mi-long, yeux vert d’eau et peau brunit par le soleil a clairement perçu l’effet capitale européenne de la culture. « Il y a eu de nombreuses améliorations faites sur cette période, souligne-t-il de son accent chantant. Ça a changé l’image de la ville. »
Avec l’apport financier de l’Europe et de l’Etat (15,7 millions d’euros) et l’investissement conséquent des collectivités (62,6 millions d’euros), Marseille fait le choix de restructurer en profondeur sa façade maritime, un dessein déjà entamé dans le cadre du projet Euroméditerranée mais accéléré par l’année capitale. Figure désormais incontournable de Marseille, le Mucem, premier grand musée national consacré aux civilisations de Méditerranée pour le XXIème siècle, sort de terre. L’imposant bâtiment de 45 000 m² est rapidement devenu l’un des musées de Marseille les plus visités avec 1,3 million de visiteurs en 2023. Autour du J4, qui accueille le musée, le quartier s’est lui aussi transformé de fond en comble avec l’aménagement du boulevard du Littoral, la construction du Musée Regards de Provence alliant art moderne et art contemporain, celle de la Villa Méditerranée, immense bâtiment destiné à abriter des conférences, des réunions et des expositions aujourd’hui devenu la réplique de la Grotte Cosquer et la réalisation d’un nouveau parvis tout autour de la cathédrale de la Major.
« Ces aménagements ont créé une ballade toute tracée avec divers lieux dédiés à la culture sur ce périmètre », pointe Sylvia Girel, maître de conférence au Laboratoire Méditerranéen de Sociologie et coordinatrice d’un programme de recherche collectif sur les publics de MP2013. Pour la chercheuse, « les espaces construits et rénovés, même s’ils se limitent à l’hyper-centre, ont transformé les parcours et amené à redécouvrir la ville ».
L’ouverture un an plus tard tout à côté, face à la Place de la Joliette, de l’immense centre commercial des Terrasses du Port endigue la transformation du quartier. Un lieu intrinsèquement lié à l’année Capitale européenne de la culture. Cette transformation urbaine de la ville lui a permis de recevoir le « Prix de la ville européenne de l’année 2014 “, décerné par The Urbanism Academy de Londres, une association de plus de 500 professionnels britanniques de l’urbanisme qui récompense chaque année un aménagement de place urbaine.
Mais certaines installations n’ont pas survécu au-delà de l’année capitale. Deux des équipements qui ont connu le plus de succès en 2013 ont fermé en 2014. Le J1, immense hangar entre l’esplanade du Mucem et la place de la Joliette, reste depuis désespérément vide. Le lieu avait accueilli tout au long de l’année des expositions et des événements dans un cadre somptueux. La vue sur les quais, la mer et les îles du Frioul y était imprenable. Le lieu est toujours dans l’attente de sa réhabilitation. La mairie aurait dans un premier temps eu le projet d’y installer un Casino. Le hangar devrait plutôt se transformer en 2025 en un pôle multi-loisirs mêlant espaces de co-working et de formation et un hôtel de luxe.
Le Pavillon M, structure éphémère de 3 000 m² située sur l’esplanade Villeneuve-Bargemon, a lui aussi disparu. Le lieu a fait office de vitrine de Marseille-Provence pendant toute l’année Capitale. Avec 1,2 million de visiteurs recensés sur l’année 2013, il était le lieu le plus visité après le MuCem. Un sondage proposé par la Ville indiquait que 85 % des Marseillais souhaitaient que l’infrastructure soit conservée. En l’état, c’était impossible. D’une part, parce que le Pavillon M est une structure légère, un super échafaudage, construit en plastique et en acier, mais surtout parce qu’il est situé sur une place classée et qu’il n’a pu obtenir qu’une autorisation provisoire.
Si le bilan est positif pour Marseille, certaines villes françaises porteuses du label n’ont toutefois pas su s’emparer de ce label. C’est le cas d’Avignon en 2000 et de Paris en 1989. « Paris ne voulait pas de ce label. C’était l’année du bi-centenaire de la révolution française. Quant à Avignon, des choses bien y ont été faites, mais elle était davantage dans la valorisation du patrimoine culturel et immatériel que dans la transformation du tissu urbain », estime Anne-Marie Autissier, maître de conférence émérite à l’institut d’étude européenne de Paris 8, spécialiste des capitales européennes. Reste à savoir quels seront les choix de Bourges, tout juste élu pour l’année 2028.
Qu’est-ce qui a motivé la candidature de Bourges au label de capitale européenne de la culture ?
Il nous a semblé que le tissu culturel à Bourges était important, avec un héritage artistique et culturel très fort depuis le moyen âge, notamment au cours du XIIe et du XIIIe siècle et également au XVe siècles avec Jean de Berry qui fait venir à Bourges tout ce que l’Europe comptait d’artistes de coloristes. Dans les années 1960, André Malraux fait de Bourges l’une des capitales de la décentralisation de la culture avec l’ouverture de la maison de la Culture. La création du festival des printemps de Bourges en 1977 est aussi un moment clef. Pour nous, c’était légitime que Bourges se porte candidate.
Bourges est une ville de taille moyenne, peu connue du grand public. Qu’est-ce qui a fait pencher la balance de son côté face à des villes concurrentes davantage mises en lumière ?
Depuis quelques années, les villes élues capitale européenne de la culture sont de taille moyenne, elles comptent entre 30 000 et 80 000 habitants et sont assez peu connues. Elles ont souvent en commun des questions d’enclavement et des difficultés économiques comme la ville italienne de Matera en 2019. Bourges a souffert ces trente dernières années avec la désindustrialisation massive des années 90. La ville se situe dans le département du Cher, l’avant-dernier département le plus pauvre de la région de l’Indre. Bourges avait besoin de ce label pour rendre le territoire attractif et booster son économie.
Quels sont les changements envisagés ?
Bien que deux heures de train seulement nous séparent de la capitale, nous sommes un territoire assez enclavé. Les transports ferroviaires sont sous-développés. Nous souhaitons développer l’offre, notamment avec l’augmentation de la fréquence des trains de nuits à l’horizon 2028. Notre candidature s’inscrit dans le cadre de la sobriété. La ville a pour ambition de développer les circulations bas carbone. Un prototype de bus à faible empreinte écologique est déjà en circulation, et le dispositif devrait se multiplier en 2028. Dans cette optique de sobriété, nous n’envisageons pas de construire de nouveaux bâtiments mais de rénover le patrimoine déjà existant, notamment la chapelle de l’Hôtel Dieu ou encore une ancienne coopérative agricole qui sera transformée en tiers lieu créatif.
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