
Suppression du droit du sol à Mayotte : Gérald Darmanin face aux obstacles constitutionnels et politiques
Après avoir annoncé la fin du droit du sol à Mayotte, le ministre de l’intérieur doit faire adopter sa mesure, mais est contraint de passer par une réforme de la Constitution, qui a peu de chance d’être votée en l'état par les parlementaires.
Gérald Darmanin dégaine une nouvelle annonce choc. En déplacement, dimanche 11 février, à Mayotte, qui connait des blocages et manifestations depuis trois semaines, le ministre de l’Intérieur a surpris en annonçant son projet de mettre fin au droit du sol sur le territoire mahorais. Cette promesse intervient dans un contexte de gronde populaire croissante contre l’immigration illégale venue des Comores voisines. Si cet engagement a été accueilli plutôt positivement par la population de l’archipel du Pacifique, sa mise en application paraît délicate, tant juridiquement que politiquement.
“Fait-on de Mayotte une singularité ?”
Le locataire de la place Beauvau l’a promis, il y aura « révision constitutionnelle » à l’initiative du président de la République. C’est la seule possibilité pour supprimer le droit du sol sur l’archipel, car la Constitution garantit que la République est « indivisible », ce qui signifie que ses lois sont les même sur tout le territoire français. Alors est-il possible de supprimer le droit du sol spécifiquement à Mayotte ? « Oui », répond le constitutionnaliste Benjamin Morel, si l’on modifie justement la Constitution directement : « Ce texte est au sommet de la hiérarchie des normes, et rien n’empêche d’y ajouter des choses. Mais cela pose une question : est-ce qu’on fait de Mayotte une singularité ? Politiquement, cela paraît compliqué. »
Le ministre a assuré, ce lundi matin, lors d’un déplacement à Rennes, que le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres « avant l’été » et que « plusieurs moments » seront possibles pour faire passer la réforme constitutionnelle nécessaire au passage de la loi.
Un casse-tête politique
La question de l’acceptabilité politique de cette réforme semble être le principal point de difficulté du gouvernement. En sept années à l’Elysée, Emmanuel Macron n’a jamais réussi à faire passer de réformes de la Constitutions. Ce type de modifications du texte fondamental de la cinquième République nécessite une majorité de 3/5 de parlementaires réunis en Congrès, ou un référendum.
Mais où trouver cette majorité de députés et de sénateurs ? A l’Assemblée nationale, les troupes de Renaissance n’ont qu’une majorité relative, et ne sont que 24 sur les bancs d’un Sénat très largement dominé par Les Républicains (LR). Emmanuel Macron et Gérald Darmanin vont donc devoir trouver un compromis, s’ils veulent que ce texte passe. Quel prix sont-ils prêt à payer ?
Pour le constitutionnaliste Benjamin Morel, « la gauche votera évidemment contre, pour des questions de principe, ses représentants considèrent que c’est un droit fondamental qui doit être maintenu pour tout le monde. Tandis que la droite dira que c’est un principe qui doit être aboli pour tout le monde. » En proposant de singulariser Mayotte, il semblerait donc que le gouvernement ne s’offre des alliés d’aucun côté de l’échiquier politique.
Si une proposition aussi radicale a été faite, c’est parce que Mayotte est devenu un symbole d’insécurité et d’immigration incontrôlée, avec 300 000 entrants illégaux chaque année, où Marine Le Pen a réalisé son meilleur score national en 2022, en réunissant 42,68% des voix exprimées dès le premier tour de l’élection présidentielle. Au second tour, la présidente du groupe RN au Palais Bourbon avait réuni près de 60% des suffrages. Après les tumultes de la « loi immigration », où la majorité relative s’était retrouvée à passer son texte avec le soutien des députés du Rassemblement national, un nouveau soutien du RN à la majorité pourrait créer une énième crise politique.
Une mesure inefficace ?
Pour Benjamin Morel, si l’immigration illégale et l’insécurité sont bel et bien les problèmes pointés du doigt par les manifestants, la suppression du droit du sol n’est pas forcément la solution miracle : « Si l’on regarde un petit peu ce qui s’est passé quand on a durci le droit du sol, notamment avec la loi Collomb de 2018, nous n’avons pas vraiment eu de baisse d’attractivité de Mayotte. Ça ne veut pas dire que la suppression n’aura pas d’effet, mais ce droit n‘est pas le seul élément qui rentre en compte aujourd’hui. »
L’une des causes de l’afflux d’immigrés clandestins est notamment la proximité des Comores, qui se trouvent à 70 kilomètres de l’archipel Mahorais, et la crise économique et politique qu’ils traversent. « Les Comoriens sont attirés par de meilleures conditions de vies, réelles ou supposés, à Mayotte, pas tant par l’obtention de la nationalité. » Gérald Darmanin a promis aux « Forces vives », le principal groupe de citoyens qui a érigé des barrages sur l’archipel, d’envoyer une feuille de route pour détailler différentes propositions concrètes avant mardi soir.