Les manifestations de vendredi dernier ont fait trois morts à Dakar. © CEM OZDEL / ANADOLU / Anadolu via AFP 

Marche interdite, arrestations, manifestants tués : le Sénégal en plein coup d’Etat ?

Alors que le président Macky Sall a repoussé l'élection présidentielle au 15 décembre par la force, les oppositions grandissent dans la capitale, malgré l'interdiction de se rassembler. Vendredi dernier, trois manifestants ont été tués. L'ONU demande une enquête rapide.

Le Sénégal est-il en train de basculer définitivement dans la dictature ? Alors qu’une grande marche de l’opposition était prévue ce mardi 13 février à Dakar contre le report de l’élection présidentielle, voté en force au parlement, les autorités ont choisi d’interdire la manifestation, accusant le rassemblement de « perturber gravement » la circulation. Alors que le président sortant Macky Sall devait rendre le pouvoir le 2 avril prochain, celui-ci a repoussé les élections et fait prolonger son mandat jusqu’au 15 décembre, nouvelle date de l’élection présidentielle. Un changement de dernière minute pointé du doigt par les opposants, et une partie de la communauté internationale, comme un « coup d’Etat constitutionnel ». 

Le nouveau collectif Aar Sunu Election, qui signifie « Protégeons notre élection », et regroupe plusieurs dizaines d’organisations syndicales et de groupes citoyens et religieux, appelait les Sénégalais à se rassembler massivement pour une marche silencieuse en milieu d’après-midi, près du centre de la capitale.

Selon plusieurs des représentants de l’association, la marche n’est pas annulée, mais simplement repoussée. « Nous allons reporter la marche car nous voulons rester dans la légalité. La marche a été interdite. C’est un problème d’itinéraire. Donc nous allons changer cela », a affirmé Malick Diop, un coordinateur du collectif. Depuis plusieurs années au Sénégal, les refus d’autorisation de manifester se sont multipliées. 

Un pays au bord de l’abîme

Vendredi dernier, la répression d’une manifestation non déclarée par les autorités a causé la mort de trois personnes. Le Sénégal est en proie à l’une de ses plus graves crises politiques des dernières décennies. L’opposition suspecte le président Macky Sall d’avoir repoussé l’élection présidentielle pour éviter la défaite de son camp. 

La gravité de la crise fait craindre un nouvel épisode de violences comme le pays en a connu en mars 2021 et juin 2023 autour du sort de l’opposant antisystème Ousmane Sonko, candidat déclaré à la présidentielle, aujourd’hui incarcéré et écarté de la cours. Le flou entretenu par le président Sall sur sa candidature à un troisième mandat avait alors alimenté les tensions jusqu’à ce qu’il annonce en juillet 2023 qu’il ne briguerait pas un troisième mandat.

La réponse des autorités aux récentes tentatives de mobilisation, l’usage de la force, les arrestations, les mauvais traitements subis par un certain nombre de journalistes selon les organisations de presse, la suspension provisoire de l’internet des données mobiles et la coupure pendant quelques jours du signal d’une télévision critique du pouvoir leur ont attiré de nouvelles critiques.

Inquiétude internationale

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme s’est dit vendredi « profondément préoccupé » par la crise au Sénégal, dénonçant un « recours inutile et disproportionné à la force contre les manifestants et des restrictions de l’espace civique ».

« Au moins trois jeunes hommes ont été tués pendant les manifestations et au moins 266 personnes auraient été arrêtées dans tout le pays, y compris des journalistes », a déclaré Liz Throssell, l’une des porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme. L’organisation appelle à la tenue d’enquêtes qui « doivent être menées rapidement, de manière approfondie et indépendante, et les responsables doivent être amenés à rendre des comptes ».

Macky Sall a depuis affirmé sa volonté « d’apaisement et de réconciliation » et a proposé un « dialogue » au reste de la classe politique. Selon les défenseurs des droits humains, des dizaines de personnes ont été tuées depuis 2021 et des centaines ont été arrêtées.

Le ministère français des Affaires étrangères a appelé mardi les autorités sénégalaises « à faire un usage proportionné de la force ». « La France réitère son appel aux autorités à organiser l’élection présidentielle le plus rapidement possible, conformément à la Constitution du Sénégal, et à garantir les libertés publiques », a également réagi le porte-parole adjoint du Quai d’Orsay dans un communiqué, alors que les arrestations se sont multipliées dans tout le pays, y compris de journalistes.