
Trésor, sans-abri, expulsé de son camp de la Villette avant les JO 2024
En vue des Jeux olympiques et paralympiques, les forces de l'ordre ont évacué plusieurs campements de migrants de la capitale. De nombreuses personnes ont été transférées dans des centres d'accueil en province, d'autres ont refusé. Témoignage.
Le camion blanc de l’Armée du salut stationne sur la place du 11-Novembre, devant la gare de l’Est, à Paris. Alors qu’une douzaine de personnes patientent, un jeune homme fait irruption, grille la file d’attente et se présente devant les trois bénévoles occupés à servir les repas. « Dari ? » Sylvain, 29 ans, a compris : le jeune homme ne veut ni manger ni boire. C’est la pile de guides d’information pour personnes exilées qui l’intéresse. Sylvain lui en prend un exemplaire en dari, une des langues majoritaires de l’Afghanistan, et le lui tend. Le jeune homme remercie et s’en va, pressé.
« On le voit souvent depuis une dizaine de jours », confie Astrid, 24 ans, qui vient de rejoindre l’organisation humanitaire. Jus d’orange, quiches lorraines et pâtes aux anchois sont distribués aux autres. Exilés sans-papier, personnes sans-domiciles fixes, retraités démunis… au bout de vingt minutes, tout le monde est servi. Sauf un homme, resté en retrait. Il se tient là, à l’écart, comme pour ne pas déranger. Astrid l’aperçoit, surprise. « Bonjour Trésor, ça va ? »
L’homme de 34 ans s’avance. Sourire franc, casquette du PSG sur la tête. « Très bien, et vous ? » Lui non plus ne pensait pas les croiser dans ce quartier. Il les voit chaque semaine. Mais jusque-là, c’était plutôt dans le quartier de La Villette, où se trouvait son campement. Ses occupants ont été évacués hier, lundi 12 décembre, par les forces de l’ordre qui suivent les directives gouvernementales, à savoir « des mises à l’abri » dans des centres d’accueil situés… en région, loin de Paris, où auront lieu les Jeux olympiques et Paralympiques de Paris 2024, et où se trouveront l’essentiel des touristes étrangers. Selon France Info, « ce sont près de 3 000 personnes qui ont déjà transité par l’un des dix sas d’accueil aménagés en province, depuis avril 2023 ».
Un long parcours jusqu’à Paris
Comme ces 3000 personnes, Trésor s’est vu proposer d’aller dans un de ces sas d’accueil. Il croit se souvenir que c’était à Strasbourg. Il a refusé et s’est retrouvé à dormir dans un parking de la gare de l’Est, la nuit dernière. Changer d’endroit, Trésor connaît. Avant d’arriver dans la capitale, il est passé par la Grèce, en 2019, puis l’Italie, avant Chambéry et enfin Lyon. A Paris, il a vécu dans plusieurs campements. Le précédent, déjà, avait été évacué l’an dernier. Cette nuit-là, on l’a emmené dans un grand gymnase. « On était plus de 200 personnes », étendues sur des lits picot, raconte Trésor. « Certains ont été emmenés dans un centre d’accueil pour un an. »
Mais pas le jeune exilé. Parce qu’il avait auparavant été débouté de sa demande d’asile, « on m’a mis dehors ». Les « ils » et les « on », les lieux et les « quand » sont flous dans son récit. Il ne sait pas très bien qui étaient les représentants de la loi, de la mairie, de la police. Mais de la brutalité de son parcours, il garde une mémoire intacte. Une larme coule de ses grands yeux ronds aux iris noirs.
En dehors des repas associatifs, il n’a « personne à qui parler ». Alors quand il y a la maraude de Sylvain, Astrid et Inès, il veut bien en raconter un peu. Sur là d’où il vient, d’abord. Kinshasa, grande ville à l’ouest du Congo qu’il a quittée en 2017. « Des fourmis », dit-il, pour décrire l’agitation incessante des rues. Sur son voyage, ensuite. « On est passé par la mer, c’était un grand bateau, on était plusieurs. » Jamais trop de détails. On ne convoque pas les morts. « Mes parents sont morts au Congo. Mon frère est parti du pays lui aussi, mais je n’ai plus de nouvelles depuis longtemps. »
Café fumant dans la main droite, il balaye le passé. Profiter du moment présent, c’est ça qui compte. « Ce repas, c’est bien. » Et après ça ? Où dormir ce soir ? Le parking de la nuit dernière « sentait la pisse ». Trésor n’a pas d’autre piste pour le moment. Ne pas se projeter trop loin. « On verra. »
Interrogé par France Info, Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde et membre du collectif Le Revers de la médaille, explique que « l’envoi en sas est censé se faire la base du volontariat, mais c’est “soit tu vas là-bas, soit tu restes à la rue”». Le Revers de la médaille, Utopia 56 et d’autres associations humanitaires dénoncent un « nettoyage social » de la capitale.