
Raphaël Pitti, médecin de retour de Gaza : « Dans les hôpitaux, les blessés graves, on les laisse mourir sans antidouleurs »
Raphaël Pitti, médecin humanitaire et responsable de formation au sein de l’ONG MEHAD, rentre de deux semaines passées dans le sud de Gaza, où il a prêté main forte au personnel médical de l’hôpital européen Khan-Younès. Entretien.
C’était la première fois que Raphaël Pitti pénétrait dans la bande de Gaza. L’anesthésiste-réanimateur s’est rendu dans le sud de l’enclave, du 22 janvier au 6 février dernier, accompagné d’une vingtaine de médecins humanitaires, dont sept Français. Venu en aide aux Syriens à partir de 2012, puis aux Ukrainiens depuis 2022, le médecin décrit une situation « hors normes » au sein de l’enclave palestinienne.
Comment décririez-vous l’hôpital européen de Gaza ?
Le panorama est chaotique. 25 000 personnes sont massées autour de l’hôpital, les uns sur les autres dans des camps de fortune dépourvus d’intimité. 3 000 déplacés vivent à l’intérieur, installés dans les couloirs, les entrées et les paliers : leurs tentes sont séparées par des draps accrochés aux faux plafonds du bâtiment. On y distribue un repas par jour : du riz, essentiellement. Certains fabriquent leur propre pain, et le font cuire à l’extérieur. Les femmes et les enfants attendent toute la journée que le temps passe. L’hôpital, depuis le début de la guerre, a considérablement augmenté ses capacités d’accueil pour s’adapter à la surpopulation, passant de 400 à 900 lits. Ça n’est toutefois pas assez, au vu de la situation : il y a des morts dans des housses dans les couloirs, et des blessés qui errent désespérément dans l’attente de soins.
Le système de santé est-il au bord de l’effondrement ?
L’hôpital européen de Gaza reste fonctionnel et a conservé ses structures normales. Le nombre d’infirmiers et de médecins a même augmenté : beaucoup, venus du Nord, sont arrivés en renfort. Mais la situation s’est évidemment dégradée, faute de matériel et de moyens. Il y a toute la question des soins post-opératoires, qui surviennent trop tard. Quand les blessés sont enfin repris en charge, leurs pansements sont dans de tels états de saleté que l’on en vient parfois à amputer des membres. C’est un vrai souci, lorsque l’on fait de la chirurgie réparatrice du visage, par exemple, cela devient impossible, tout s’infecte car les règles d’hygiène ne peuvent être respectées. À cette situation s’ajoutent les blessés graves, qui arrivent en ambulance. Les victimes de bombardements et des tirs sont soignées à même le sol.
Les médecins sont-ils contraints de trier les blessés ?
Il n’y a pas de tri à l’entrée, mais le triage se fait de facto. Les blessés les plus graves, touchés à la tête, ne sont pas pris en charge dans l’hôpital. On les laisse mourir, sans accompagnement, ni antidouleurs.
Est-il possible de prendre en charge les soins primaires ?
C’est difficile. La population, qui s’est multipliée par cinq, souffre également de problèmes respiratoires, pathologies digestives et autres maladies chroniques. Ils viennent pour se faire examiner, il y a une foule de malades devant les urgences. Les gens sont renvoyés chez eux, lorsqu’ils peuvent y retourner. Avec mon association, MEHAD, nous avons pour projet d’installer dans la ville de Rafah dix centres de soins primitifs pour aider à soigner ces maladies du quotidien.
L’offensive israélienne se poursuit, et pourrait se concentrer sur la ville de Rafah, qui accueille près d’un million et demi de Palestiniens (contre près de 200 000 avant la guerre). Qu’en pensez-vous ?
Il faut empêcher cette offensive de toutes nos forces. La situation est dramatique : les gens n’ont pas d’espace, la ville est surpeuplée, les habitants recherchent désespérément de la nourriture, de l’eau et un endroit pour se laver. Un avocat palestinien me racontait même que sa famille vivait à 21 dans un deux pièces ! Alors comment voulez-vous opérer un ciblage, dans cette configuration ? Si l’armée israélienne mène réellement cette opération, c’est qu’il y a une vraie intention génocidaire. Il faudra alors en faire le procès.