Les professionnels de santé réunis devant le Ministère de la Santé pour la reconnaissance des médecins étrangers. Crédit : Lou-Ann Auvray 

« Je n’ai pas fait un bac +12 pour abandonner mon métier » : écartés des hôpitaux, les médecins à diplômes étrangers manifestent

Une vingtaine de médecins, diplômés à l'étranger mais praticiens en France depuis parfois des années, ont manifesté jeudi 15 février devant le ministère de la Santé face au risque d'un licenciement massif car leur statut administratif, précaire, n'existe plus depuis le 1er janvier.

« Ça fait un an que je n’ai pas touché à un malade. Le bloc me manque. Je déprime. » Alice (tous les prénoms ont été modifiés), 40 ans, a toujours rêvé d’être médecin. Treize années après avoir passé son diplôme de chirurgienne ORL en Algérie, elle est arrivée en France. Et là, impossible d’exercer. C’est désormais le cas des médecins de diplôme étranger hors UE (aussi appelés Praticiens diplômés hors Union européennes, Padhues) n’ayant pas réussi les Epreuves de vérification des connaissances (EVC), un concours très sélectif. Jeudi, ils étaient près d’une vingtaine à manifester place Laroque, près du ministère de la santé, pour exiger des mesures de régularisation de leurs statuts.

Urgentistes, psychiatres, gynécologues, généralistes… Depuis plus de vingt ans, la désertification médicale a conduit de nombreux établissements de santé à recruter des médecins en dehors de l’UE. Un régime dérogatoire a longtemps permis aux hôpitaux le maintien de praticiens n’ayant pas réussi les EVC, sous divers statuts précaires, rémunérés entre 1 500 et 2 200 euros par mois. Mais ce régime, plusieurs fois prolongé, s’est éteint le 31 décembre. 

Depuis, Marie s’est inscrite à Pôle emploi et touche le chômage ainsi que des aides. La jeune psychiatre, qui a longtemps travaillé en Arabie Saoudite s’est donnée une année pour trouver du travail. « Je veux continuer en psychiatrie car j’aime ça, mais mon avenir est tellement flou que des fois, en tant que psychiatre, je déprime. » En cas d’échec, elle sait déjà qu’elle reviendra dans le pays du Golfe. « On me conseille de me reconvertir comme infirmière. Mais je n’ai pas fait un bac + 12 pour abandonner mon métier ! », s’énerve celle qui tient une grande pancarte sur laquelle est écrit : « Stop à la précarité des Padhues !»

« Les Padhues ont les même responsabilités que leurs confrères. La logique est qu’ils aient les mêmes droits qu’eux. Or aujourd’hui, le gouvernement fabrique des chômeurs médecins », s’exclame Olivier Varnet, neurologue et secrétaire adjoint à la Fédération des Services publics et de santé FO. La précarité, Cara, pharmacienne à l’hôpital de Montfermeil depuis quatre ans pour la préparation des chimiothérapies, la connaît très bien : « Je suis payée 1 800 euros par mois alors que je travaille cinq jours par semaine, plus les gardes. Mes collègues qui ont les mêmes responsabilités que moi touchent entre 4 000 et 5 000 euros. » Pour exercer son métier, elle a passé plusieurs fois les EVC sans jamais les réussir : ce concours très sélectif demande une grande préparation, un temps précieux dont ne disposent pas tous les médecins : « Les EVC sont super durs à préparer. Cette année, j’ai mis quatre mois à réviser, j’ai payé une formation 2 000 euros pour avoir 9,84 sur 20 », se souvient-elle.

« On nous prend pour des cons »

Paul a lui aussi échoué. Son contrat a été suspendu. A ses yeux, le concept des EVC est injuste : « On nous demande de passer des EVC alors que nous avons déjà fait nos preuves sur le terrain. » Lui demande plutôt de la reconnaissance. « On nous fait travailler sous différents statuts sans jamais nous promettre un avenir précis et certain. Du jour au lendemain, on nous dit de rentrer chez nous. Certains sont là depuis plusieurs années. On en a marre d’être pris pour des cons », s’énerve le jeune médecin. Le nombre limité de places à ce concours — 2 700 postes pour 18 000 candidats, dont une moitié s’étaient inscrits depuis l’étranger selon la conférence des doyens de médecine — a laissé une grande partie d’entre eux sur le carreau. Certains se retrouvent même sans papiers car leur carte de séjour est souvent conditionnée à leur travail. « Quand il y a eu la crise de la Covid, on nous applaudissait. Maintenant, on balaie tout ça d’un revers de la main », soupire Paul. Face à ce « futur sombre », il envisage désormais se reconvertir dans le BTP.